"Declique un li clictis" : la poésie sonore de Jacques Peletier du Mans (III).

 

III. Approche noétique en guise de conclusion. “L'oreille est plus spirituelle”

Le primat donné au sonore -à la rime ou à la concentration complexe de procédés que constitue l'harmonie imitative- relève sans doute des préoccupations rhétoriques du moment qui cherchaient à prouver que la poésie de langue française pouvait connaître un nombre comme son illustre ancêtre. Il n'est pas chez Peletier sans être un des fleurons de sa poétique, qui vise à singulariser chaque objet décrit, à faire entendre dans chaque poème la voix de l'objet, à réunir convenance et expressivité. Toutefois, la recherche formelle ne peut, chez Peletier, être distingué de préoccupations plus vastes, touchant à son système de connaissance. L'Amour des amours est le premier recueil poétique de Peletier à paraître sous une orthographe réformée qui favorise l'adéquation du signe écrit et du signifiant (Note 61). La position phonétiste de Peletier visant à rapporter l'orthographe à la “prolation” est une mise en valeur du son, du primat de l'oreille. Elle a des soubassements théoriques, notamment médicaux, qui font de l'ouïe le sens le plus précieux, notamment dans l'acquisition des connaissances, comme en témoignent les premières lignes des Louanges de la Parole :

De tous les cinq [sens] l'ofice ét bien requis :
Mes an l'Oreille ét tout le plus exquis:
La force en l'Eull samble plus terrienne,
E de l'Oreille ét plus aërienne :
L'Eull seulemant voéd la couleur des cors,
L'Oreille an prand les espris e acors :
L'Eull pour mieus voèr, deça dela se gete,
L'Oreille n'ét a tant de tours sugete :
L'Eull ne voèd rien, si la clerte ne luìt,
L'obscurite a l'Oreilhe ne nuìt. (...)
L'homme qui ét aveugle de nessance,
Peùt de doctrine aquerir connoessance :
Mes s'il ét nè de l'Ouye perclus,
Et de Sciance e ses resons exclus.
Bref, la vertu de l'Eull ét actuele,
E de l'Oreille ét plus spirituele (Note 62).

Mais nous l'avons déjà montré ailleurs (Note 63), à la suite des travaux précieux de Marie-Luce Demonet (Note 64).

Peletier croit à la matérialité sonore du poème et sa réforme orthographique vise à conserver dans le texte écrit la trace parfaitement exacte d'une énonciation, qu'il jugerait suspecte, impertinente et inefficace, si elle passait par le simple truchement de l'écrit. Elle serait alors un corps sans voix.

 

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